Sages
Advertisement

LE MONDE — RÉALITÉ OU ILLUSION ?

Ramana2


Néanmoins, un minimum d'enseignement théorique est nécessaire comme fondement d'une pratique spirituelle. Chez le Maharshi, cela se présentait sous la forme de la non-dualité, en parfaite identité de vue avec les enseignements du grand sage Shankara. Cette concordance ne signifie pas pour autant que Bhagavan était, comme dirait un philosophe, « influencé » par Shankara, mais simplement qu'il reconnaissait dans l'enseignement de celui-ci la parfaite exposition de ce qu'il avait réalisé et savait par connaissance directe.



D.: L'enseignement de Bhagavan est-il le même que celui de Shankara ?
B. : L'enseignement de Bhagavan est l'expression de son expérience et de sa réalisation propres. D'autres estiment que celles-ci s'accordent avec ce qu'a vécu Sri Shankara".
D.: Quand les Upanishads affirment que tout est Brahman, comment peut-on accepter avec Shankara que ce monde soit illusoire ?
B.: Shankara disait aussi que ce monde est Brahman, ou Soi. Ce qu'il n'admettait pas, c'est qu'on s'imagine que le Soi est limité par les noms et les formes qui constituent le monde. Il affirmait seulement que le monde n'a aucune réalité en dehors de Brahman. Brahman, ou le Soi, ressemble à un écran de cinéma et, le monde, aux images projetées dessus. Vous ne pouvez voir l'image que tant qu'il y a un écran. Mais, quand le spectateur lui-même devient l'écran, seul demeure le Soi".
On a critiqué Shankara pour sa philosophie de la maya (l'illusion), sans comprendre ce qu'il entendait au juste. Il affirmait trois choses : Brahman est réel, l'univers est irréel, et Brahman est l'univers. Il ne s'est pas arrêté sur le deuxième principe. Le troisième explique les deux premiers ; cela signifie que lorsque l'univers est perçu en dehors de Brahman, cette perception est fausse et illusoire. Ce qui revient à dire que les phénomènes sont réels quand on les vit en tant que Soi, et illusoires quand on se les figure en dehors du Soi.
Seul le Soi existe et est réel. Le monde, l'individu et Dieu sont comme l'apparence illusoire de l'argent dans la nacre, des créations imaginaires au sein du Soi. Ils apparaissent et disparaissent simultanément. En fait, seul le Soi est le monde, le « je » , et Dieu. Tout ce qui existe n'est qu'une manifestation du Suprême".
D.: Qu'est-ce que la réalité ?
B.: La réalité doit toujours être réelle. Dénuée de noms et de formes, elle est ce qui sous-tend noms et formes. Etant elle-même sans limites, elle se trouve à la base de toutes les limitations. Elle n'est assujettie en aucune façon. Etant elle-même Réelle, elle sous-tend les irréalités. Elle est cela qui est. Elle est comme elle est. Elle transcende la parole et échappe à la description, comme l'être ou le non-être".


Il ne se laissait pas entraîner dans d'apparents désaccords nés d'une simple différence de point de vue ou de mode d'expression.


D.: Les bouddhistes nient le monde tandis que la philosophie hindoue admet son existence tout en le jugeant irréel, n'est-ce pas ?
B.: Ce n'est qu'une différence de point de vue.
D. : Ils déclarent que le monde est créé par l'Energie Divine (shakti). La connaissance de l'irréalité vient-elle du voile de l'illusion (maya) ?
B.: Tous admettent la création par l'Energie Divine ; mais quelle est la nature de cette énergie ? Elle est forcément en consonance avec la nature de sa création.
D. :Y a-t-il des degrés dans l'illusion ?
B. : L'illusion elle-même est illusoire. Elle doit être considérée par un observateur situé en dehors d'elle, mais comment un tel observateur peut-il être affecté par l'illusion ? Et, dans ce cas, comment peut-il parler de ses degrés ?
Vous voyez diverses scènes passer sur un écran de cinéma : un incendie semble réduire des bâtiments en cendres ; l'eau d'une tempête paraît provoquer le naufrage de navires ; mais l'écran sur lequel ces images sont projetées demeure intact : ni le feu ni l'eau ne l'ont atteint. Pourquoi ? Parce que les images sont irréelles et que l'écran, lui, est bien réel.
Semblablement, le nombre et la qualité des reflets qu'il renvoie n'affectent nullement le miroir.
De la même façon, le monde est un phénomène sur le substrat de l'unique Réalité qui n'en est aucunement touchée. La Réalité est seulement Une.
Parler ou non d'illusion dépend seulement du point de vue que l'on adopte. Modifiez votre point de vue pour celui de la Connaissance et vous vous apercevrez que l'Univers n'est que Brahman. Etant donné que vous êtes à présent plongés dans le monde, vous le voyez comme un monde réel ; placez-vous au-delà, il disparaîtra, et ne demeurera alors que la Réalité".


Comme le montre ce dernier extrait, le postulat d'une unique Réalité universelle nécessite un processus d'illusion ou bien de création pour expliquer l'apparente réalité du monde.


Le monde est perçu comme réalité objective apparente quand l'esprit s'extériorise et abandonne du même coup son identité avec le Soi. Quand le monde est perçu ainsi, la véritable nature du Soi n'est pas révélée ; inversement, quand le Soi est réalisé, le monde cesse d'apparaître en tant que réalité objective".
C'est l'illusion qui nous fait prendre ce qui est toujours présent en toute chose, dans une plénitude de perfection éclairée de son propre jour — c'est-à-dire le Soi et le noyau de l'Etre comme non existant et irréel. Et, vice versa, c'est l'illusion qui fait prendre pour réel et doué de sa propre existence ce qui est non existant et irréel, à savoir la triade : monde, ego et Dieu".


Le monde est bien réel, mais pas en tant que réalité indépendante, auto-subsistante, exactement comme un homme que vous voyez en rêve est réel en tant que personnage onirique, mais pas en tant qu'homme.


Pour ceux qui n'ont pas réalisé le Soi comme pour ceux qui l'ont réalisé, le monde est réel. Mais, pour les premiers, la Vérité revêt la forme du monde, tandis que, pour les seconds, la Vérité brille en tant que Substrat et Perfection sans forme du monde. Voilà tout ce qui les différencie".


J'avais parfois entendu Bhagavan affirmer qu'irréel (mithya, imaginaire) et réel (satyam) revenaient au même et, comme je ne comprenais pas vraiment ce qu'il voulait dire, je l'interrogeai à ce sujet. Il me dit :


Oui, il m'arrive effectivement de dire ça. Qu'entendez-vous par réel ? Qu'appelez-vous réel ?


Je répondis : « D'après le Vedanta, seul ce qui est permanent et inchangeable peut être appelé réel. Telle est la signification de la Réalité. » Alors Bhagavan précisa :


Les noms et les formes qui constituent le monde changent sans cesse et périssent ; c'est pourquoi on les dit irréels. Il est irréel (imaginaire) de réduire le Soi à ces noms et à ces formes, et réel de tout considérer en tant que Soi. Le non-dualiste affirme que le monde est irréel, mais il dit aussi : « Tout ceci est Brahman. » Il est donc clair que ce qu'il condamne, c'est de considérer que le monde a une réalité objective propre, et non qu'il est Brahman. Qui voit le Soi ne voit aussi que le Soi dans le monde. Que le monde apparaisse ou non est sans importance pour celui qui a connu l'Illumination. Dans un cas comme dans l'autre, son attention est tournée vers le Soi. C'est comme les lettres et le papier sur lequel elles sont imprimées. Vous êtes tellement pris par les lettres que vous en oubliez le papier, mais l'Eclairé voit que le papier est bien le substrat, que les lettres apparaissent ou non dessus".

Ramana3


Voici la chose exprimée, encore plus succinctement, comme suit :


Les Védantins n'affirment pas que le monde est irréel. Il s'agit d'une erreur d'interprétation. Si tel était le cas, que signifierait l'affirmation vedantique : « Tout ceci est Brahman » Ils veulent dire simplement que le monde est irréel en tant que monde, mais réel en tant que Soi. Si vous considérez le monde comme non-soi, il n'est pas réel. Tout, que vous l'appeliez Illusion (Maya), Jeu divin (Lila) ou Energie (Shakti), doit être au sein du Soi et non en dehors".


Avant d'abandonner la théorie du monde comme manifestation du Soi, et dénué de réalité objective, il convient de répéter que, pour le Maharshi, la théorie n'avait d'importance que dans la mesure où elle aidait au développement spirituel d'un individu, et non en elle-même. La cosmologie, telle que la conçoit la physique moderne, ne le concernait en aucune façon.


D.: Les Vedas contiennent des explications cosmogoniques contradictoires. A un endroit il est dit que l'éther fut créé en premier, dans un deuxième, c'est l'énergie vitale, l'eau dans un troisième, et quelque chose d'autre ailleurs ; comment peut-on concilier tout ça ? La crédibilité des Vedas ne s'en trouve-t-elle pas diminuée ?
B.: Des voyants différents ont vu des aspects différents de la vérité à des époques différentes, et chacun a mis l'accent sur un point de vue particulier. Pourquoi vous inquiéter devant leurs affirmations contradictoires ? Le but essentiel des Vedas est de nous enseigner la nature de l'impérissable Soi et de nous montrer que nous sommes Cela.
D. : J'en conviens parfaitement.
B. : Alors, considérez tout le reste comme des arguments secondaires ou des explications destinées aux ignorants qui veulent connaître l'origine des choses.


Le major Chadwick recopiait la traduction anglaise du Kaivalya Navaneetha, écrit en tamoul, quand il rencontra quelques termes techniques dont il ne saisissait pas bien le sens. Il interrogea donc Bhagavan qui répondit :


Dans ces passages, il est question de théories relatives à la création. Ces textes ne sont pas essentiels car le véritable objet des Ecritures n'est pas de faire connaître de telles théories. Elles en font état en passant, afin que les lecteurs qui le souhaitent puissent s'y intéresser. La vérité, c'est que le monde apparaît comme une ombre fugitive dans un déluge de lumière. La lumière est nécessaire, même pour voir l'ombre. Celle-ci ne mérite pas d'étude, d'analyse ni de discussion particulière. Ce livre a pour objet de présenter le Soi, et ce qu'on y trouve sur la création peut être passé sous silence pour l'instant.


Plus tard, Sri Bhagavan poursuivit :


Le Vedanta dit que le cosmos surgit d'un coup en même temps que celui qui le voit sans aucun processus de création progressif. Il est semblable à un rêve où le rêveur et son rêve apparaissent simultanément. Toutefois, certains sont si attachés à la connaissance objective que ce genre d'explication ne les satisfait pas. Ils veulent savoir comment une création soudaine est possible et soutiennent qu'un effet doit être précédé d'une cause. En fait, ils désirent une explication du monde qu'ils voient autour d'eux. Les Ecritures tâchent donc de satisfaire leur curiosité avec des théories de ce genre. Cette approche du sujet porte le nom de théorie de la création graduelle, mais le vrai chercheur spirituel peut se satisfaire de la création instantanée".

Source : http://fr.sages.wikia.com/

Source : Ainsi parlait ramana Maharshi, Arthur Osborne

Advertisement